Jean-François MOZZICONACCI, conservateur

Publié à l'occasion de l'exposition Francois Bricq au Musée des Beaux-Arts de Carcassone.

24 juin - 31 Août 1987

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1967-1987. Vingt ans de travail, vingt ans dans une vie consacrée à la peinture, à l'aventure de et dans la peinture. Passions : curiosité et travail. Curiosité, voyages, visites de musées et de manifestations en Europe comme aux Etats-Unis. Travail, recherches, hésitations, réalisations, contradictions, synthèse et affirmation. Dans les années 60, au moment ou l'Europe va être submergée et dépassée par les Américains, Bricq se situe dans la mouvance de l'Ecole de Paris. Ses recherches sur les formes, les matières, les couleurs pures, participent aux préoccupations de sa génération. Tout semble découvert et toute tradition brisée sinon oubliée. Frénétiquement il faut trouver autre chose. Il est tour à tour fasciné et influencé par Arp, le Bauhaus, les Constructivistes Russes, le réalisme social chinois, le Pop'art. Balloté, écartelé, il maîtrise peu à peu ses contradictions et affirme sa démarche. Il veut « reprendre tout à la base et opérer une investigation systématique. » Ces années sont des années austères, parfois agitées et traversées de crises douloureuses. Elles s'articulent autour de deux grands axes : abstraction et réalisme social, et peuvent se découper en phases très nettes, mais tout en conservant en commun ce souci majeur et permanent de la recherche systématique, recherche jusqu'à l'épuisement. Leur dénominateur commun est cette volonté de système qui se traduit dans la série et qui aboutit à la notion de séquence où le tableau n'est qu'une séquence extraite d'un ensemble imaginaire.. Bricq se consacre d'abord (67-69) à un travail sur la matière et les formes dynamiques engendrées par les projections et les applications de matière. Son travail est volontairement limité au noir et blanc. Ses formes s'adoucissent, formes souples en S, puis se figent en figures géométriques, diagonales, carrés, cercles .Il est amené à ce moment à réintroduire la couleur (69-72) avec les trois primaires (Bleu-Jaune-Rouge) auxquelles il ajoute le vert. Il travaille alors par aplats, sans aucun effet de matière sur ses toiles, à la découverte d'une profondeur et d'une perspective provoquées par la valeur même de la couleur, tout en se proposant de réaliser dans l'espace ses recherches. Il recherche une solution nouvelle à la troisième dimension et conçoit toute une série de maquettes pour des projets monumentaux qui ne seront jamais réalisés. A la recherche de nouvelles solutions il tente une expérience collective en créant à ce moment AS-ART (hasard ?), association réunissant peintres, dessinateurs, écrivains et musiciens. Attentif aux mouvements de la Société, il ressent la nécessité de passer à la Figuration « plus fonctionnelle qu'esthétique » et quitte AS-ART pour participer à d'autres travaux collectifs : Atelier du 18 mars. Il abandonne l'abstraction et se consacre au réalisme social (72-77).


Mais « l'imagerie politique n'est pas un réel terrain de travail artistique», et il conteste vivement toutes les notions « d'avant-garde ». Sa connaissance et sa pratique des grands musées, ses voyages, lui font prendre conscience d'une tradition picturale européenne à laquelle il s'identifie et dont il revendique l'héritage, les droits comme les charges. C'est essentiellement la figuration : « la figuration est pour moi un acquis important ». Il l'affirme au moment où triomphe dans les expositions internationales l'Art Pauvre et l'Art Conceptuel. Alors s'enchaînent et se recoupent les séries figuratives : images globales, dans la tradition du tableau classique : le Port du Havre (80), allégories machinistes (81-83) ; nouveaux cadrages et reflets (depuis 83) : reprise de l'idée de séquence et d'interférence, utilisation de la métonymie : le métal (moteurs, carlingues), le verre (pare-brise), l'eau et la conjugaison des trois. Il se laisse alors aller au plaisir de peindre, sans vouloir rien démontrer ou ni prétendre à quoi que ce soit, sinon à son plaisir et à sa liberté. Ce plaisir de peindre, d'autres le trouveront et l'affirmeront dans les années qui suivent, mais il n'y a pas lieu de les citer ici. Son métier, sur lequel il est inutile d'insister, est à ce moment parfaitement maîtrisé : sûreté de la composition, précision du dessin, qualité des rapports entre les formes et les couleurs. La technique de l'acrylique, véritable discipline avec ses contraintes mais aussi ses possibilités plastiques, permet ce rendu glacé et ce traitement impeccable qui correspond parfaitement aux sujets privilégiés. Il s'agit d'objets connus et reconnus qui créent un climat de communication et de possibilité d'échange avec le public, surtout lorsqu'il s'agit justement de communication : lieux communautaires (villes, immeubles) ou moyens de transports (voitures, avions, bateaux). Et le XXe siècle, c'est la machine et la ville. Il est vrai que certains l'ont déjà affirmé au début du siècle, comme les Futuristes. Mais ici, il ne s'agit pas de l'exaltation de la machine et de son adoration, qui devient un but en soi et qui finit par réduire le peintre à n'être plus qu'un illustrateur comme pour beaucoup d'hyper-réalismes, mais il s'agit d'images, langage de tous les jours reconnaissable par tous.

Avions, bateaux ou voitures sont les outils de la transformation du réel, et les symboles du monde contemporain, de la consommation, des échanges et de la vitesse. Mais aussi l'invitation au voyage, au départ pour un «quelque part» encore inconnu. Par leur vitesse ils modifient l'espace. Mais par eux-mêmes, par leurs surfaces de chrome ou de vitre ils déforment et transforment cet espace. Aux machines s'ajoute l'eau, flaque ou mer, dans laquelle la ville et les machines se reflètent et se déforment. Dans la série des voitures, cette autosatisfaction est plus subtile avec le reflet de la ville où les immeubles basculent et s'enroulent autour d'eux-mêmes. La vie de la ville aussi se reflète mouvante, inquiète, chaleureuse, poisseuse par ses enseignes et ses néons dans les flaques agitées par le passage d'une voiture dont il ne reste que le reflet des feux arrière. L'eau, les chromes, les glaces, inventent une géométrie inconnue et trouble qui rejoint l'anamorphose, anamorphose qu'aucun miroir ne restituera sinon le désir du spectateur. Ces images vont bien au-delà d'un simple divertissement talentueux ou d'un jeu formaliste et sophistiqué, mode pseudo-américaine du pop'art, ou affiche publicitaire. Elles doivent être lues à différents degrés. Certes le premier de ces aspects, où la force plastique de l'objet reconnu s'impose ne doit pas être nié.

Dans la série des avions, le reflet des formes exprime l'autosatisfaction de la machine et sa confiance dans sa propre force par ses formes qui se referment sur elles-mêmes, comme celle de l'homme créateur, qui y admire son génie et l'illusion de son éternité. Les images de Bricq balancent en toute ambiguïté entre l'interprétation poétique du monde mécanique et le plaisir absolu et gratuit des formes et des couleurs. Ces images sont la projection de l'illusion et du rêve, la restitution statique en deux dimensions de l'espace et du temps, la tentative de leur maîtrise et de leur conjugaison par la vitesse. Elles sont la sublimation et la poétisation du monde présent, mais l'homme y est toujours absent, et cela n'est sans doute pas un hasard. Elles sont le plaisir absolu et gratuit des formes et des couleurs. Les mêmes constructions se retrouvent à vingt ans de distance, en S, en diagonale, compositions frontales, tableau dans le tableau, grâce au reflet où une forme est contenue dans l'autre, et où la forme contenue est en réalité la totalité de l'objet, métonymie, la partie pour le tout. Ce sont aussi les mêmes touches, touches pour ne pas dires tâches, la même application du pinceau, nerveuse, calculée, mais à la limite du hasard, jeu optique. Les mêmes rapports de couleurs, rouge-bleu, rouge-bleu-jaune, rarement du vert, au fond ce sont toujours les trois primaires conjuguées différemment. Ce sont des « morceaux de peinture ».

De la peinture en somme.


Jean-François MOZZICONACCI Conservateur du Musée de Carcassonne